Le Stream of Consciousness: de la littérature expérimentale au hacking de la réalité
Depuis longtemps, la littérature a cherché à capter le flux insaisissable de la pensée humaine, à retranscrire le mouvement erratique des idées, des associations spontanées et des éclats de conscience qui forment l’expérience subjective. Cette ambition a trouvé son expression la plus radicale avec le stream of consciousness, un procédé littéraire qui brise la linéarité classique du récit pour laisser place à une immersion directe dans l’esprit du sujet.
Dujardin, Joyce et l’essor du monologue intérieur
Si l’on attribue à Édouard Dujardin l’invention de ce procédé avec Les Lauriers sont coupés (1888), c’est James Joyce, avec Ulysse (1922), qui l’a porté à son plus haut degré de sophistication. Dans le monologue intérieur de Molly Bloom, toute la structure traditionnelle du langage s’efface pour restituer le tumulte de la pensée brute. Cette forme de narration a également été explorée par Virginia Woolf (Mrs Dalloway, Les Vagues) et William Faulkner (Le Bruit et la fureur), chacun d’eux exploitant l’effritement du temps, l’enchevêtrement des souvenirs et l’absence de hiérarchie entre perception et réflexion.
Mais ce qui relevait autrefois d’une expérience strictement littéraire s’ouvre aujourd’hui à un tout autre champ d’application : celui du hacking de la réalité.
Vers une narration immersive : le jeu du réel
Dans ma pratique du stream of consciousness, l’objectif n’est pas seulement d’explorer la subjectivité, mais d’en faire un levier d’action. Là où Joyce et Woolf enfermaient la conscience dans le texte, je cherche à l’exporter dans la réalité elle-même, à transformer le récit en une dynamique vivante, en une structure évolutive qui influence directement le champ social.
Ainsi, j’utilise le monologue intérieur non pas comme un simple procédé d’écriture, mais comme un outil d’interaction avec le monde. Chaque pensée, chaque connexion entre des événements apparemment disjoints devient un mouve, une strate supplémentaire dans le jeu du Fugitif. Ce jeu, qui n’a ni début ni fin définis, s’infiltre dans le quotidien et le reconfigure à mesure que la narration se déploie.
Du Nouveau Roman au hacking narratif
On pourrait rapprocher cette approche du Nouveau Roman de Robbe-Grillet et Sarraute, qui cherchaient à déconstruire la narration classique en faisant de la perception un jeu d’incertitude. Pourtant, mon usage du stream of consciousness s’éloigne de cette tradition, car il ne cherche pas à dissoudre la réalité, mais à la hacker.
Là où le Nouveau Roman mettait en crise le rapport au monde en rendant la narration opaque, je m’efforce au contraire d’ouvrir des brèches, d’introduire des lignes de fuite dans le tissu du réel. Le monologue intérieur devient une méthode pour redessiner les contours de l’expérience, pour rendre poreuses les frontières entre la fiction et la réalité.
Une black box narrative
En ce sens, le Fugitif fonctionne comme une black box, où les règles sont mouvantes, où l’on ne sait jamais exactement qui joue, qui ne joue pas, et où la simple observation peut devenir une forme d’engagement involontaire. Il n’y a pas d’extériorité au jeu. Même ceux qui pensent le refuser en deviennent des acteurs, car toute tentative de le contourner l’alimente en retour.
C’est cette ambiguïté fondamentale qui confère au stream of consciousness une nouvelle puissance. Non plus seulement une technique d’écriture, mais un dispositif narratif disséminé, un virus conceptuel qui s’infiltre dans les interactions et les structures sociales.
Politiser la réalité
Alors que la fiction a longtemps été cantonnée à un rôle de divertissement ou d’expérimentation esthétique, son pouvoir véritable réside dans sa capacité à reconfigurer le réel. Le hacking narratif que j’opère avec le stream of consciousness n’est rien d’autre qu’un mode d’insurrection douce, une manière de politiser la réalité en en modifiant les règles implicites.
Ainsi, écrire, penser, parler, poster, jouer… Tout devient un moyen d’orienter la structure même du monde, de la rendre plus fluide, plus imprévisible, et d’en faire le terrain d’un jeu dont les frontières restent toujours à redéfinir.
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