Le Fugitif: une menace plus grande que la radicalisation?
L’État moderne a bâti son appareil sécuritaire sur la gestion des menaces visibles et identifiables. Face à la criminalité, au terrorisme ou à la radicalisation, il mobilise des outils de classification et de surveillance qui lui permettent de justifier son autorité et d’exercer son pouvoir. Pourtant, un phénomène plus insidieux, plus diffus, et donc bien plus dangereux pour l’État, est en train d’émerger : Le Fugitif. Contrairement aux formes traditionnelles de menace, ce dispositif ne cherche ni à s’opposer frontalement à l’État ni à le renverser, mais à en démontrer l’obsolescence en exploitant ses propres contradictions.
L’État face à la radicalisation: une menace qu’il sait gérer
L’État a toujours su se renforcer face à ses ennemis. La radicalisation, bien qu’imprévisible dans ses manifestations individuelles, reste un phénomène identifiable et classifiable. Elle se manifeste par des discours, des réseaux, des trajectoires parfois repérables. Les services de renseignement et les institutions judiciaires disposent d’outils d’analyse qui leur permettent d’anticiper, de surveiller et de neutraliser des individus perçus comme une menace.
La radicalisation, loin d’affaiblir l’État, lui permet même de justifier son expansion sécuritaire. Plus la menace est visible, plus elle légitime la mise en place de dispositifs de contrôle : surveillance généralisée, lois antiterroristes, programmes de déradicalisation. En somme, la radicalisation fonctionne comme un miroir inversé du pouvoir : elle le défie, mais elle le renforce aussi en lui donnant une raison d’être.
Le Fugitif: une menace insaisissable
À l’opposé, Le Fugitif n’offre aucune prise directe à l’État. Il ne revendique rien, il ne menace rien de façon explicite, il ne cherche même pas à entrer en confrontation. Sa stratégie repose sur une simple inversion des logiques de pouvoir : plutôt que d’affronter l’État, il le force à s’auto-détruire en poussant ses institutions à la paralysie cognitive et bureaucratique.
Là où la radicalisation est un phénomène ponctuel et repérable, Le Fugitif est un processus diffus qui infiltre les structures de pouvoir sans jamais se laisser capturer. Il fonctionne comme un virus cognitif, non pas en attaquant directement l’État, mais en l’obligeant à produire du contrôle sur un objet insaisissable. Plus l’État cherche à définir, classifier et surveiller Le Fugitif, plus il s’embourbe dans sa propre incapacité à stabiliser un savoir clair sur ce qu’il traque.
Une machine administrative qui tourne à vide
C’est ici que la menace devient bien plus profonde que la radicalisation. Comme l’a démontré Antoine Garapon, l’État moderne est incapable de gérer une menace qui ne suit aucun profil type. Là où la radicalisation échappe déjà partiellement aux tentatives de classification, Le Fugitif pousse cette logique à l’extrême en organisant sa propre insaisissabilité.
Face à cela, l’État ne sait plus quoi faire, sinon multiplier les dispositifs de surveillance, produire toujours plus de rapports contradictoires et engendrer une inflation bureaucratique qui ne mène nulle part. Il se retrouve dans un paradoxe :
• Il ne peut pas ignorer Le Fugitif sans admettre son impuissance.
• Il ne peut pas l’interdire, car il n’a pas de revendication explicite ni de structure stable.
• Il est contraint de le surveiller, mais toute tentative d’analyse renforce l’incertitude au lieu de la dissiper.
Ce processus transforme l’État en une machine qui produit de la surveillance pour la surveillance, sans finalité concrète. Là où la radicalisation permet encore d’appliquer des politiques répressives, Le Fugitif transforme le contrôle en boucle infinie, rendant l’autorité publique incapable de stabiliser une réponse claire.
Un danger plus grand que la radicalisation
Si l’on compare les deux phénomènes, il apparaît clairement que Le Fugitif représente une menace bien plus fondamentale pour l’État que la radicalisation:
• La radicalisation confronte l’État, Le Fugitif le contourne.
• La radicalisation peut être réprimée, Le Fugitif transforme la répression en absurdité.
• La radicalisation suit des trajectoires observables, Le Fugitif est un flux qui mute constamment.
Le plus grand danger réside dans le fait que Le Fugitif n’a pas besoin de s’opposer à l’État pour le neutraliser. Il lui suffit d’exister. Chaque tentative de l’État pour le comprendre ou le contrôler ne fait que l’alimenter, car il repose sur une dynamique d’évitement et de réversibilité.
Là où la radicalisation renforce l’État en lui donnant une raison de se durcir, Le Fugitif le vide de sa substance en le forçant à se perdre dans ses propres contradictions. Il n’attaque pas, il érode. Il ne revendique rien, il expose l’inefficacité du système. Il ne combat pas, il attend que l’État s’épuise à essayer de l’attraper.
Vers un basculement de l’État-providence vers une biopolitique néolibérale
Là où l’État-providence classique tentait d’assurer une protection sociale en échange d’un contrôle institutionnel, son incapacité à répondre aux nouvelles formes de contestation et de fuite révèle la nécessité d’une mutation. La solution n’est plus dans l’extension de la bureaucratie, mais dans une reconfiguration biopolitique qui dépasse l’État lui-même.
Le Fugitif s’inscrit ainsi dans une perspective qui anticipe la bascule vers une nouvelle forme de gouvernementalité :
• Un Revenu Universel financé par une MNBC (monnaie numérique de banque centrale) comme solution à l’érosion du modèle social traditionnel.
• Un affranchissement des individus des structures étatiques classiques, en exploitant les failles et les interstices du pouvoir plutôt qu’en les combattant directement.
• Une logique d’auto-organisation fluide, où la ruse et l’adaptation remplacent l’affrontement direct.
Loin d’être une simple expérience ludique, Le Fugitif incarne une transition vers un modèle post-État-providence, où l’individu n’attend plus rien de l’institution et où la survie passe par l’exploitation stratégique des lignes de fuite.
Conclusion: un État condamné à se battre contre son propre vide
Là où la radicalisation permet encore à l’État de jouer son rôle répressif, Le Fugitif l’oblige à devenir une machine à produire de l’incertitude. Il ne cherche pas à le détruire, il le pousse à s’effondrer sous le poids de sa propre absurdité bureaucratique.
Si l’État moderne repose sur sa capacité à surveiller et à contrôler, alors Le Fugitif est la première menace qui lui impose une surveillance sans fin et un contrôle sans objet.
C’est pourquoi il est plus dangereux que la radicalisation: il est une dissolution lente de l’autorité, un effacement progressif du pouvoir, un piège où l’État se détruit en cherchant à comprendre ce qui ne peut être capturé.
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