Le Fugitif comme activation de l’inconscient mythopoïétique : une expérimentation en temps réel du modèle Flournoy-Ellenberger

Résumé:

Cet article explore Le Fugitif sous l’angle de l’inconscient mythopoïétique tel que défini par Théodore Flournoy et repris par Henri F. Ellenberger. Il s’agit d’analyser comment ce jeu expérimental met en œuvre une logique de mythogenèse en temps réel, transformant la frontière entre fiction et réalité en un espace d’exploration active. Le Fugitif devient ainsi un dispositif où l’imaginaire se matérialise et interagit avec le réel, suivant une dynamique qui s’inscrit dans les théories de Flournoy sur l’imagination créatrice et les récits intérieurs, tout en adoptant une approche expérimentale qui renouvelle le concept d’égrégore.

1. Introduction: l’inconscient mythopoïétique et son héritage

L’inconscient mythopoïétique, concept développé par Théodore Flournoy et repris par Henri F. Ellenberger, désigne la capacité de l’esprit humain à générer spontanément des récits symboliques qui influencent la perception du réel. Dans ses recherches sur Hélène Smith, Flournoy a montré comment une imagination active peut produire des mondes entiers, des récits fictifs dotés d’une cohérence interne, au point de structurer la manière dont une personne interagit avec son environnement.

👉 Cette dynamique, loin d’être un simple phénomène pathologique ou une dérive hallucinatoire, est un processus structurant du psychisme humain.

Selon Ellenberger (1970), les mythes ne sont pas de simples histoires: ils sont des formes actives de connaissance et de transformation du réel. Ce que Flournoy observait dans les expériences médiumniques peut être élargi à toute une gamme de phénomènes psychiques et sociaux, où la fiction devient opératoire.

Mais que se passe-t-il lorsque ce processus est consciemment activé, structuré dans un cadre expérimental et partagé collectivement?

👉 C’est précisément ce que propose Le Fugitif.

2. Le Fugitif comme dispositif d’activation de l’inconscient mythopoïétique

Dans Le Fugitif, un récit collectif émerge sans scénario préétabli:

• Le personnage du Fugitif n’a pas d’identité fixe, mais évolue selon les interprétations et les interactions des joueurs.

• Le jeu ne possède pas de frontière nette entre fiction et réalité, ce qui favorise un processus où les joueurs deviennent les vecteurs actifs d’une mythogenèse.

• L’espace urbain est transformé en un territoire de narration vivante, où l’environnement devient porteur de signes et de structures symboliques.

2.1. Une fiction qui s’autonomise et contamine la réalité

Dans Le Fugitif, la distinction entre créateur et créature, entre narrateur et narré, s’effondre progressivement.

• Le Fugitif agit comme un égrégore, une entité née de l’imaginaire collectif qui acquiert une forme d’indépendance perçue.

• Les joueurs ressentent la présence du Fugitif même lorsqu’aucune mise en scène concrète ne le justifie, illustrant la force de l’inconscient mythopoïétique en action.

• L’architecture même du jeu favorise ce phénomène: chaque joueur, en interagissant avec l’environnement, le transforme en une scène d’apparition potentielle.

👉 Cette expérience rappelle les observations de Flournoy sur l’interversion de l’intérieur et de l’extérieur: ce que le joueur imagine finit par structurer sa perception du monde extérieur, jusqu’à altérer son vécu du réel.

3. Logique acausale et synchronicité: un jeu qui produit du sens flottant

Une caractéristique essentielle du Fugitif est sa capacité à générer des synchronicités, ces coïncidences signifiantes que Carl Gustav Jung associait à un ordre caché du réel.

• Les événements du jeu semblent parfois anticiper ou répondre à des attentes inconscientes des joueurs.

• L’expérience du jeu altère la relation à la causalité : le sens prime sur la chronologie des événements.

• Les signes et indices ne sont pas posés à l’avance, mais apparaissent selon une logique d’auto-organisation du récit.

👉 Comme dans le cas d’Hélène Smith étudié par Flournoy, ce qui semblait au départ être une simple fiction acquiert une dimension opératoire : il ne s’agit plus seulement d’un jeu, mais d’une reconfiguration du réel à travers un cadre narratif interactif.

4. Le Fugitif comme terrain d’expérimentation du mythe vivant

Là où Flournoy et Ellenberger étudiaient les mythes générés spontanément, Le Fugitif propose un modèle où la mythogenèse devient une expérience active et collective.

4.1. Une forme de narration ouverte et fluide

• Contrairement à un jeu de rôle classique, Le Fugitif n’a pas de script central, mais fonctionne comme un organisme narratif évolutif.

• Les joueurs ne suivent pas une trame, mais créent des connexions entre les éléments du réel et l’univers du jeu.

• Le jeu ne se termine jamais vraiment: il continue de produire du sens même en dehors des phases actives.

4.2. Un mythe expérimental qui dépasse ses créateurs

Un des aspects les plus marquants du jeu est que le Fugitif semble évoluer indépendamment de son créateur initial.

• Certains joueurs rapportent des “apparitions” du Fugitif là où elles n’étaient pas prévues.

• Des éléments du jeu surgissent spontanément dans la réalité des participants, comme si l’univers fictionnel commençait à contaminer leur monde.

• Les synchronicités deviennent des indices involontaires, des fragments de narration qui émergent de l’inconscient collectif.

👉 Cette capacité du Fugitif à “déborder” du jeu illustre parfaitement ce que Flournoy et Ellenberger ont décrit: un mythe ne reste jamais enfermé dans une structure rigide, il vit et se transforme à travers ceux qui le portent.

5. Conclusion: Le Fugitif comme méthodologie expérimentale du récit vivant

L’analyse du Fugitif à travers le prisme de l’inconscient mythopoïétique montre que ce jeu ne se contente pas de raconter une histoire: il est une fabrique de récits vivants, une machine à générer du mythe en temps réel.

• Il valide l’hypothèse de Flournoy selon laquelle la fiction ne se contente pas d’imiter la réalité, mais interagit avec elle et la transforme.

• Il illustre la thèse d’Ellenberger sur le fait que le mythe est une force agissante, qui influence la perception et le comportement.

• Il propose une méthodologie inédite pour explorer l’inconscient mythopoïétique de manière active et consciente, en permettant aux joueurs d’expérimenter directement la création d’un mythe collectif.

C.Q.F.D.: Le Fugitif est une application contemporaine du modèle Flournoy-Ellenberger, un dispositif expérimental qui transforme le mythe en un processus interactif et opératoire.