PACTA SUNT SERVANDA
À la suite de la Première Guerre mondiale, en
formulant sa Théorie pure du droit
(1934), Hans Kelsen souhaitait séparer la science juridique de la politique. Par
théorie pure du droit, « j’entends, nous dit Kelsen, une théorie exempte de
toute idéologie politique et de tout élément relevant des sciences de la
nature, consciente d’avoir un objet régi par des lois qui lui sont
propres »[1].
En quelque sorte, le juriste autrichien prenait par là le contrepied de la Théologie politique (1922) de Carl
Schmitt, son contradicteur.
Kelsen, en effet, cherchait à entreprendre une
critique en règle de la théologie politique d’un Carl Schmitt & Co., parce
que celle-ci visait à donner à la politique des assises juridiques que la
science juridique en tant que telle ne pouvait se permettre :
En réalité
le conflit ne porte pas sur la place du droit parmi les autres sciences et sur
les conséquences qui en résultent, mais sur les rapports du droit et de la
politique. Mes adversaires n’admettent pas que ces deux domaines soient
nettement séparés l’un de l’autre, car ils ne veulent pas se départir de
l’habitude bien enracinée d’invoquer l’autorité objective de la science du
droit pour justifier des prétentions politiques qui ont un caractère
essentiellement subjectif, même si en toute bonne foi elles correspondent à
l’idéal d’une religion, d’une nation ou d’une classe.[2]
En séparant ainsi la science juridique de la
politique, Kelsen posait clairement les termes du problème : la science n’est pas un principe de
légitimation du politique, en l’occurrence la science juridique. Pour ce
faire, il montre que la société est différente de la nature dans le sens où les
sciences de la nature se fondent sur le principe de causalité[3], tandis
que les sciences sociales reposent, elles, sur le principe d’imputation[4]. Kelsen
cherchait par là à déconstruire l’idée que la science juridique serait une
science de la nature, à savoir un droit
naturel. C’est pourquoi il dit qu’en tant que science, la « règle de
droit » dont le juriste s’occupe n’est pas une « loi
naturelle ». Ceci est très important, car cela lui permet d’introduire
l’idée que la « règle de droit » est un « jugement
hypothétique », tandis que la « norme juridique » est un
« jugement catégorique » (Kant). C’est que la science juridique, si
elle « établit une relation entre deux faits », ne le fait pas à la
manière de la loi naturelle qui établit cette relation sur la « relation
de cause à effet », parce que la « relation qui existe entre les deux
faits [dans la science juridique] résulte d’une norme prescrivant ou autorisant
une conduite déterminée. Cette norme est elle-même le sens attaché à un ou
plusieurs actes que des hommes ont accomplis dans l’espace et dans le temps et
qu’on appelle coutume, loi, arrêt judiciaire ou acte administratif. »[5] C’est
pourquoi le juriste autrichien dit que l’acte illicite qui amène une sanction
se fonde sur le principe d’imputation.
Ce dernier n’est pas très différent du
« principe de réalité » de Freud, qui, pour montrer comment ce principe
intervient pour limiter les rapports à l’objet, recourt à une explication d’ordre
« anthropologique », dans Totem
et tabou (1913). C’est ainsi que Hans Kelsen, lecteur de Freud, en vient
lui-même à recourir à une explication génésique pour démontrer les normes
juridiques comme composants d’un Surmoi :
Quand
l’homme primitif sent le besoin d’expliquer les phénomènes naturels, il les
considère comme des récompenses ou des punitions, suivant qu’ils se produisent
en sa faveur ou à son détriment. Un événement avantageux est la récompense
d’une bonne conduite, tandis qu’un événement défavorable est la punition d’une
mauvaise action. Une telle interprétation de la nature n’est donc pas causale,
mais normative, fondée qu’elle est sur la norme sociale de la rétribution.[6]
Dans cette genèse psychosociologique des
normes, il n’est pas surprenant de voir que l’animisme comme chez Freud tient
chez Kelsen une place de choix dans la relation de la condition et de la conséquence
et que celle-ci va même constituer la base sur laquelle vont se distinguer une
théorie statique et une théorie dynamique du droit. « Dans le premier cas,
le droit apparaît comme un ensemble de normes déterminant des comportements
humains et dans le second comme un ensemble de comportements humains déterminés
par des normes. La première formule met l’accent sur les normes, la seconde sur
les comportements humains, mais toutes deux indiquent que la science du droit a
pour objet des normes créées par des individus ayant qualité d’organes ou de
sujets d’un ordre juridique, ou, ce qui revient au même, d’organes ou de
membres de la communauté constituée par un tel ordre. »[7] C’est
donc en tant que sujet et objet de la formulation de normes censées régir sa
conduite que l’homme se distingue de l’animal. Et justement parce que les
normes se meuvent dans un arbitraire que seule justifie une logique, la
formulation des normes en tant qu’« acte de volonté » pure ou acte de
langage différencie la norme juridique de la règle de droit, qui, elle, est
subjective, puisque « acte de connaissance »[8].
Il faut cependant dire que la référence à
Kant est ici problématique, étant donné que la conception de la logique de
Kelsen ne semble pas si kantienne qu’elle ne paraît. En effet, nous verrons par
la suite que le « principe de non-contradiction » est avec son
principe d’efficacité l’un des deux principes fondamentaux de sa Théorie pure
du droit. Or, ce principe de non-contradiction est l’un des principes que Kant
a reproché à Leibniz comme étant une confusion entre la « logique
générale » et la « logique transcendantale ». Dans ses textes
antérieurs à la Critique de la raison
pure (1781), Kant faisait justement de la simultanéité l’un des principes
qui validait la possibilité d’une logique transcendantale. C’est ainsi que le
sens du mot « devoir » prit un sens tout à fait central dans sa
philosophie, même si l’on peut dire que Kelsen le suit sur ce terrain avec
l’extrait suivant :
Comme
nous l’avons vu, les règles de droit sont, à l’instar des lois naturelles, des
jugements hypothétiques, donc non catégoriques. Ils établissent une relation
entre une condition et une conséquence selon le schéma « si A, alors
B ». La nature de cette relation n’est cependant pas la même dans les deux
cas. La loi naturelle déclare : « si A est, alors B est ». En
d’autres termes si l’événement A se produit effectivement, l’événement B le
suit nécessairement ou probablement. Exemple : « si un corps
métallique est chauffé, il se dilate ».
La
règle de droit recourt à un schéma différent : « si A est, alors B
doit être », c’est-à-dire si l’événement A se produit effectivement,
l’événement B doit le suivre (même si effectivement il ne le suit pas).
Exemple : « si un individu commet un vol, il doit être condamné à une
peine d’emprisonnement ».[9]
Le problème est que Kelsen par souci de
neutralité, qu’il tient certainement de Max Weber et de sa neutralité
axiologique, distingue le droit de la morale et que cette distinction est
censée selon lui garantir la scientificité du droit étant donné que le droit ne
se prononce pas sur la politique. Et, bien que la volonté chez lui caractérise
le droit, la « norme fondamentale » ne fait le choix ni entre la
liberté individuelle ni entre la sécurité sociale, puisque l’idée de justice
est pour lui inconnaissable, étant un noumène :
Comme
nous l’avons vu, la règle de droit établit une relation entre une condition et
une conséquence en disant que si la condition se réalise, la conséquence doit avoir lieu. Mais ce mot
« doit » est dépourvu de tout sens moral. Il a un sens purement
logique. La relation qu’il établit a le caractère d’une imputation, tandis que
dans la loi naturelle il y a une relation causale entre la condition et la
conséquence. Mais dans l’un et l’autre cas il s’agit d’une relation
fonctionnelle spécifique établie entre les éléments d’un système donné, celui
du droit ou celui de la nature. La causalité, en particulier, n’a pas d’autre
signification, si on la dépouille du sens magico-métaphorique qu’elle avait
primitivement quand, de façon tout à fait animiste, on voyait dans la cause
quelque force secrète tirant d’elle-même son effet. Les sciences de la nature
ne sauraient d’ailleurs renoncer à une causalité ainsi purifiée, car en
établissant une relation entre les faits donnés à notre connaissance la causalité
répond, de la seule manière possible, au postulat de l’intelligence de la
nature.[10]
Est-ce que cette précision sur la logique
du droit fait pour autant du droit en tant que système une logique acausale du
point de vue de Kant ? Chez Kant, en effet, il convient de préciser que
son obligation morale est la manifestation d’une volonté pure, raison pour
laquelle elle se réfère à l’ego transcendantal
comme principe d’explication ultime. Or, chez Kelsen, la distinction que Kant
fait entre la raison pure et la raison pratique semble se situer au niveau de
la distinction qu’il établit entre la théorie statique et la théorie dynamique
du droit. Mais celle-ci trahit une défaillance dans son système puisqu’il
exclut en tant que système logique la contradiction. On verra cependant que
Kelsen contourne la difficulté en disant qu’une loi même si elle est en
contradiction avec la norme fondamentale, c’est-à-dire la Constitution, est
valide tant qu’elle n’a pas été abrogée par l’organe habilité. De cet fait, il
maintient la distinction entre la logique du droit en tant que système et la
volonté du législateur, qui, lui, a en vue le contenu du droit en tant que
logique distincte de toute autre logique sociale, étant donné que le « droit s’attribue le monopole de la force »[11].
C’est là que le double rôle de la prescription/sanction en tant que normes
primaire et secondaire constitue les deux faces d’une même pièce, étant donné
que pour Kelsen ce qui différencie le droit de la morale, c’est que la morale,
si elle prescrit des comportements, ne prévoit pas de sanctions. C’est pourquoi
il dit :
[…]
si la communauté juridique (l’Etat en particulier) n’est pas caractérisée par
le fait qu’elle est constituée par un ordre de contrainte, il n’est pas
possible de la distinguer d’autres communautés également consituées par des
ordres normatifs.[12]
C’est là avec la communauté juridique
tout l’intérêt de la conception de l’Etat chez Kelsen, car avec cette
conception de l’Etat le juriste autrichien parvient à contrer une conception
opposée de la communauté, celle de la Volksgemeinschaft
(la communauté du peuple), qui se prévalait en effet de l’idée de nature,
en manifestant par là un biologisme pseudo-scientifique dans la même veine que
l’évolutionnisme du XIXe siècle. Dès lors, en posant la sanction comme
l’apanage du droit exclusivement, Kelsen donnait à l’Etat une autorité qu’il
savait lui échapper, puisque si l’Etat est un absolu relatif, c’est à l’échelle
du monde surtout que l’on s’aperçoit de sa faiblesse. D’où l’importance chez Kelsen
de la locution latine pacta sunt servanda,
un principe du droit international public qui vient ébranler à ses fondements
la conception traditionnelle de la souveraineté de l’Etat avec la création de
la SdN :
Les
sanctions du droit international général, soit les représailles et la guerre,
sont seulement permises, aucun Etat n’étant tenu d’y recourir lorsqu’il est la
victime d’un acte illicite. En revanche une telle obligation peut être établi
par un traité groupant un certain nombre d’Etats dans une communauté
internationale. Elle se présente alors sous la forme d’une obligation de
recourir aux représailles ou à la guerre contre tout Etat qui violerait
certaines dispositions fondamentales du traité, cette obligation étant
sanctionnée par les actes de contrainte prévus dans le traité. Il y a là une
véritable obligation juridique, tandis qu’aucun Etat ne viole le droit
international général s’il s’abstient de recourir aux représailles ou à la
guerre contre un Etat responsable d’un acte illicite.[13]
Il va de soi ici que c’est bien contre ce
principe du droit international que Carl Schmitt allait s’en prendre en
publiant en 1950 son Nomos de la Terre.
Car, en acceptant l’idée que la sanction constitue le principe normatif d’une
communauté juridique la criminalisation de la guerre devenait l’acte fondateur
de la communauté internationale. Ainsi, Kelsen opérait une révolution
copernicienne au niveau du droit, puisqu’en posant le droit positif (le traité)
comme fondement de la légalité des agissements des Etats entre eux, il annule
l’existence d’un ennemi en soi, qui
se trouve au fondement de la distinction schmittienne de l’ami-ennemi[14].
C’est à raison que Kelsen s’en prend
également à la tradition de la sociologie juridique, qui alors était très en
vogue aux Etats-Unis, puisqu’elle « ne s’intéresse pas aux normes formant
l’ordre juridique, mais aux actes par lesquels ces normes sont créées, à leurs
causes et à leurs effets dans la conscience des hommes »[15].
Ceci s’inscrivait pleinement dans les démarches du juge Oliver Wendell Holmes
Jr. qui, fortement inspiré par le pragmatisme de William James et de John
Dewey, œuvrait pour une compréhension pragmatiste du droit, tandis que Hans
Kelsen cherchait, lui, à contrer toute influence extérieure dans la Théorie
pure du droit :
La
Théorie pure du droit, qui veut être une science spécifique du droit, n’étudie
pas les faits de conscience se rapportant aux normes juridiques, tels que le
fait de vouloir ou de se représenter une norme, mais uniquement ces normes
prises en elles-mêmes, dans leur sens spécifique, de quelque manière qu’on le
veuille ou se le représente. Elle ne s’occupe d’un fait que dans la mesure où
il est déterminé par une norme juridique.[16]
L’intuition de Kelsen était en effet très
juste, car le principe de causalité qu’implique une conception
psychosociologique du droit s’inscrivait pleinement dans la volonté de la
psychologie et de la sociologie de se constituer en sciences naturelles et par
conséquent, à s’inscrire dans une conception du droit naturel. Ainsi, William
James n’avait pas tort de voir dans sa conception de l’arc réflexe un programme
pour faire coïncider la nature et Dieu. Mais Kelsen flairant par là une
justification scientifique de la politique, c’est-à-dire une théologie
politique, en vint à souligner d’emblée les liens entre cette psychologie
sociale et la théologie politique :
Si
la doctrine du droit naturel veut être conséquente avec elle-même, elle doit
avoir un caractère religieux, car le droit naturel est nécessairement un droit
divin, s’il doit être éternel et immuable, contrairement au droit positif,
temporaire et variable, créé par les hommes. De même seule l’hypothèse d’un
droit naturel établi par la volonté de Dieu permet d’affirmer que les droits
subjectifs sont innés à l’homme et qu’ils ont un caractère sacré, avec cette
conséquence que le droit positif ne pourrait ni les accorder à l’homme, ni les
lui enlever, mais seulement les protéger et les garantir.[17]
Par contre, Kelsen en vient implicitement
à poser la question du droit à la résistance, qui semble banni de sa Théorie
pure du droit, puisque ce droit va à l’encontre du seul droit pour lui valable,
le droit positif. Dès lors, quel est le rôle de la subjectivité chez lui ?
La subjectivité chez Kelsen repose sur le
sentiment, c’est-à-dire le senti et le non-formulé, puisque ce qui est formulé
chez lui fait l’objet d’un traitement par l’entendement devant aboutir à des
procédures prescrites par le droit :
Nous
avons vu que les valeurs constituées par des normes simplement supposées par
l’auteur d’un jugement ont un caractère subjectif, parce qu’elles sont fondées
en dernière analyse sur le désir ou la peur. La doctrine du droit naturel
prétend que les normes réglant la conduite des hommes peuvent être trouvées en
analysant la réalité naturelle, car elles seraient créées conjointement par la
nature et par la volonté de Dieu. Elles seraient donc des normes positives. Il
n’est toutefois pas possible de prouver l’existence de l’acte par lequel elles
ont été créées. En fait les normes que la doctrine du droit naturel tient pour
« posées » par la volonté divine sont seulement des normes supposées
par ceux qui affirment leur validité. Les valeurs qu’ils déclarent objectives
et absolues sont seulement subjectives et relatives.[18]
À cette théorie de l’émotion qu’implique
la supposition, Kelsen oppose la théorie de la connaissance qu’il reprend à
Kant[19].
« Dire le droit », en effet, est pour lui un acte de langage par
lequel le sujet s’engage en tant que « sujet de droit », c’est-à-dire
en tant sujet et objet du droit. En cela, il n’est ni bon ni méchant comme le
suppose au contraire les tenants du droit naturel[20].
C’est pourquoi « [d]ire d’un homme qu’il est une personne ou qu’il possède
la personnalité juridique signifie simplement que certaines de ses actions ou
omissions forment d’une manière ou d’une autre le contenu de normes juridiques »[21].
Ainsi, nous comprenons pourquoi, la distinction entre l’homme et la personne
juridique est superflue pour Kelsen, puisqu’à l’instar du behaviorisme de John B.
Watson, la Théorie pure du droit ne s’intéresse qu’aux comportements. La catégorie « personne juridique » devient
donc avec Kelsen une « black box » dont seuls les actes importent. Mais
plus précisément, cette « black box » chez lui est la « norme
fondamentale », étant donné qu’elle est l’« hypothèse de toute étude
positiviste du droit »[22],
le juriste autrichien sous-entend par là une relativité fondamentale du
droit : « Ainsi la validité que la science juridique peut attribuer
au droit n’est pas absolue, mais conditionnelle et relative »[23].
C’est alors du point de vue de la théorie dynamique du droit que la création du
droit, en tant que révolution permanente d’un ordre juridique qui n’est pas
« posée » une fois pour toute, prend tout son sens, puisqu’« une
norme fondamentale indique comment se crée un ordre auquel correspond dans une
certaine mesure la conduite effective des individus régis par lui. Dans une
certaine mesure, disons-nous ; il n’est pas nécessaire en effet qu’il y
ait une concordance complète et sans exception entre un ordre normatif et les
faits auxquels il s’applique. Il doit même y avoir la possibilité d’une
discordance, sinon l’ordre normatif n’aurait plus aucun sens »[24].
Et cette possibilité de la discordance même permet alors de comprendre le droit
comme force :
Si,
au lieu de réalité, nous parlons de force, la relation entre la validité et
l’efficacité d’un ordre juridique n’est autre que le rapport entre le droit et
la force. Nous nous sommes ainsi bornés à formuler en termes scientifiquemenent
exacts la vieille vérité que le droit ne peut pas subsister sans la force, mais
qu’il ne lui est cependant pas identique. Nous le considérons comme un mode
d’organisation de la force.[25]
Ainsi, en comprenant le droit comme
force, Kelsen parvient à surmonter toutes les antithèses qui faussent selon lui
l’entendement du droit (droit privé/droit public, contrat/volonté,
démocratie/autocratie, etc.), puisqu’en réduisant le droit à la « création
du droit », c’est-à-dire à l’application du droit, Kelsen supplante le
dualisme juridique au profit d’un monisme, dont le « principe
d’efficacité » se trouve dans le droit international. Cela l’amène donc à
critiquer le dualisme juridique comme étant une « idéologie » :
L’idéologie
qui fonde le dualisme du droit public et du droit privé sur l’opposition absolue
du droit et de la force, ou du moins du droit et de la puisssance étatique,
conduit à l’idée erronée que dans le domaine du droit public et en particulier
dans les branches, importantes au point de vue politique, du droit
constitutionnel et du droit administratif, la validité de la norme juridique
n’aurait pas le même sens ni la même intensité que dans le domaine du droit
privé. En droit public l’intérêt de l’Etat et le bien public passeraient avant le
droit strict, tandis que le droit privé serait en quelque sorte le véritable
domaine du droit. Ainsi la relation entre la norme générale et l’organe chargé
de l’appliquer ne serait pas la même dans ces deux parties du droit : d’un
côté application stricte de la loi au cas particulier, de l’autre libre
réalisation du but étatique dans le cadre de la loi et même à l’encontre de la
loi si les circonstances l’exigent.[26]
Et Kelsen ajoute :
Ce
dualisme, logiquement insoutenable et sans valeur scientifique, n’a qu’une
portée idéologique. Enseigné par la doctrine du droit constitutionnel, il tend
à assurer au gouvernement et aux organes administratifs qui lui sont
subordonnés une liberté d’action pour ainsi dire déduite de la nature des
choses : non pas une liberté à l’égard du droit, qui est en vérité
impossible, mais une liberté à l’égard de la loi élaborée par le parlement ou
avec sa participation.[27]
Ce dualisme de l’Etat et du droit est un
paradoxe insurmontable pour Kelsen, parce que selon lui l’Etat ne peut pas être
à la fois sujet de droits et indépendant du droit. « Pour que l’Etat
puisse être légitimé par le droit, il faut qu’il apparaisse comme une personne
distincte du droit et que le droit lui-même soit un ordre essentiellement
différent de l’Etat, sans rapport avec la force qui est à l’origine de
celui-ci. Il faut donc qu’il soit en un certain sens un ordre juste et
équitable. »[28]
Or, c’est cette prétention même à la justice qui est pour Kelsen une idée
insupportable, puisque la justice en tant qu’idée est selon Kelsen une idée
insaisissable. Dès lors, l’Etat est tout simplement pour lui l’ordre normatif
par excellence étant donné qu’il possède le « monopole de la force »
(Max Weber). D’où l’importance des « organes » de l’Etat :
L’Etat
est donc un ordre juridique, mais tout ordre juridique n’est pas un Etat. Il ne
le devient qu’au moment où il établit certains organes spécialisés pour la
création et l’application des normes qui le constituent. Il faut par conséquent
qu’il ait atteint un certain degré de centralisation.[29]
Il est donc intéressant de voir qu’avec
la centralisation que constitue l’Etat, le droit international remet en
question la théorie moderne de la souveraineté, représentée justement par cette
centralisation, étant donné que l’ordre superétatique, à l’instar de l’ordre
préétatique (la coutume), opère une « déterritorialisation » (Gilles
Deleuze) qui rend caduque l’idée de souveraineté :
Dès
que le droit international se constitue, ou plus exactement dès qu’il est tenu
pour un ordre juridique supérieur aux divers ordres juridiques nationaux,
l’Etat, qui est la personification d’un ordre juridique national, ne peut plus
être souverain. Sa supériorité est seulement relative, car il est subordonné au
droit international et en dépend directement. La définition de l’Etat doit donc
commencer par la relation qui l’unit au droit international. Celui-ci constitue
une communauté juridique superétatique qui, à l’instar des communautés
préétatiques, n’est pas suffisamment centralisée pour être considérée comme un
Etat.[30]
L’acquis cependant de la théorie de la
souveraineté est d’avoir selon Kelsen permis de créer un personnel (les
fonctionnaires) censé représenter l’Etat en tant que personnalité juridique,
c’est-à-dire d’appliquer le droit comme force. C’est pourquoi il dit :
L’acte
d’un individu n’est un acte étatique que si une norme juridique lui donne une
telle qualification. Considéré au point de vue dynamique l’Etat se manifeste en
une série d’actes juridiques et il pose un problème d’imputation, car il s’agit
de déterminer pourquoi un acte étatique n’est pas imputé à son auteur, mais à
un sujet placé en quelque sorte derrière lui. Seule une norme juridique permet
de répondre à cette question, la conduite d’un individu ne pouvant être
rapportée à l’unité de l’ordre juridique que si une norme de cet ordre lui
donne une telle signification. Or l’Etat, en sa qualité de sujet des actes
étatiques, est précisément la personnification d’un ordre juridique et il ne peut
pas être défini autrement.[31]
C’est justement pour pouvoir constituer
ce personnel, à savoir le rémunérer, que l’Etat et la monnaie ont partie liée,
étant donné que le fisc est un organe vital de l’Etat :
Cette
évolution historique [l’Etat], qui est liée au passage de l’économie naturelle
à l’économie monétaire, suppose la formation d’un fisc étatique, d’un trésor
central, dont la constitution et l’utilisation, l’accroissement et la
diminution, font l’objet d’une réglementation juridique particulière. Ce trésor
permet de rétribuer les fonctionnaires de l’Etat et de couvrir les frais de
leur activité. L’administration directe, telle que nous l’avons définie
précédemment, est elle aussi une activité que l’Etat exerce par l’entremise de
ses fonctionnaires. Une école ou un chemin de fer sont des institutions
publiques ou privées suivant la qualification juridique de celui qui les
dirige.[32]
Nous voyons donc que le monisme amène le
juriste autrichien à faire de l’Etat l’ordre normatif par excellence, étant
donné son monopole de la force, tout en le dépassant avec le droit
international. Ceci est d’autant plus fascinant que cette ouverture, qui fait
écho pour nous au concept de « déterritorialisation » de Gilles
Deleuze, amène à dissoudre l’Etat au profit d’un « Etat mondial »
dont Kelsen est tout à fait conscient de son impossibilité. C’est comme si,
pour reprendre les termes de Deleuze, l’ascension vers le molaire nous amenait
paradoxalement vers les sous-sols du moléculaire. Mais il convient tout de même
de signaler que la Théorie pure du droit de Kelsen n’est pas exempte de
contradictions. En effet, en prônant le monisme juridique, Kelsen dénonce un
dualisme paradoxal qui se trouve enseigné en droit constitutionnel, à savoir la
séparation de l’Etat et du droit. Il semble par là critiquer à la fois
l’autoritarisme et l’individualisme libéral qui vise à réduire le rôle de
l’Etat au maximum. Il fait pour cela une analogie intéressante entre le droit
et la théologie, qui distingue Dieu et le monde :
Pour
la théorie de la connaissance le dualisme de la personne étatique et de l’ordre
juridique rappelle le dualisme tout aussi contradictoire de Dieu et du monde.
L’idéologie politico-juridique coïncide sur tous les points essentiels avec
l’idéologie théologico-religieuse dont elle est issue et dont elle est un
succédané.[33]
C’est ainsi qu’il souligne le dualisme
similaire entre la théologie politique et la théologie chrétienne, à laquelle
nous pouvons renvoyer aux Deux Corps du
roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge (1957) de Ernst
Kantorowicz. En effet, avec le droit romain à l’époque chrétienne, c’est un souci
de légitimité qui préoccupe les souverains, face au droit canon de l’Eglise. Dès
lors, nous comprenons pourquoi le pouvoir temporel du moment qu'il voulut
s’émanciper de la tutelle de l’Eglise dut faire des magistrats l’équivalent des
prêtres, à savoir des représentants du pouvoir. Or, il est intéressant que Hans
Kelsen passe sur cette période de l’Histoire extrêmement fondamentale pour
comprendre la formation moderne du droit, puisqu’elle a partie liée avec une
théorie moderne de la souveraineté, celle de Jean Bodin. N’est-ce pas lui qui, avec sa Démonomanie des
sorciers (1580), soutient que toute forme d’écart avec le pouvoir est en soi un crime de lèse-majesté, voire
un crime contre la religion chrétienne ? Si. Et c’est bien là que nous
comprenons comment le pouvoir devient lui-même croyance. Car il faut croire pour
que le pouvoir devienne effectif ou,
selon la terminologie de Kelsen, « efficace ». C’est pourquoi,
lorsque Kelsen s’en prend à la légitimité de l’Etat en tant que théorie
dualiste (l’Etat de droit), nous ne pouvons que rester sceptique :
La
tentative de légitimer l’Etat en le présentant comme un Etat fondé sur le
droit, comme un « Rechtstaat », se révèle entièrement vaine. Tout
Etat est nécessairement fondé sur le droit, si l’on entend par là qu’il est un
ordre juridique. Un Etat qui ne serait pas ou ne serait pas encore un ordre
juridique n’existe pas, car un Etat ne peut être qu’un ordre juridique. Une
telle constatation ne comporte d’ailleurs aucun jugement sur la valeur
politique de l’Etat. Pour certains théoriciens un Etat n’est fondé sur le droit
que s’il garantit les droits individuels, permet le contrôle de la légalité des
notes étatiques et assure la formation des normes juridiques selon des méthodes
démocratiques. C’est cependant un préjugé de droit naturel que de voir dans de
tels systèmes de normes les seuls ordres juridiques véritables. Pour une
théorie positiviste conséquente avec elle-même le droit (ou l’Etat) ne peut
être qu’un ordre de contrainte appliqué à la conduite des hommes et cela ne
comporte aucun jugement sur la valeur d’un tel ordre au point de vue de la
morale ou de la justice. L’Etat n’est ni plus ni moins juridique que le droit
lui-même. En tant que réalité d’ordre intellectuel il est un système de normes
étudié par la science normative du droit, mais s’il est envisagé comme une
série d’actes de caractère psycho-physiologique se motivant les uns les autres,
il est une force et comme telle il relève de la psychologie sociale ou de la
sociologie.[34]
Mais, si l’on peut dénoncer ce manque de
rigueur historique et la pseudo-explication génésique du droit chez Kelsen, on
ne manquera pas de souligner également sa manière conséquente de s’en tenir au
droit positif. Car, face à la théologie politique, on ne voit pas (pour
l’instant) comment faire autrement pour résister au souverainisme :
Lorsque
la Théorie pure se refuse à légitimer l’Etat par le droit, cela ne signifie pas
qu’elle tienne toute légitimation de l’Etat pour impossible. Elle considère
seulement que la science du droit n’est pas en mesure de justifier l’Etat par
le droit ou, ce qui revient au même, de justifier le droit par l’Etat. Elle ne
pense pas d’ailleurs qu’il appartienne à une science de justifier quoi que ce
soit. Une justification est un jugement de valeur qui a toujours un caractère
subjectif et relève de l’éthique ou de la politique. Si les théoriciens du
droit veulent faire de la science et non de la politique, ils ne doivent pas
sortir du domaine de la connaissance objective.[35]
Pour finir, il convient d’aborder le
droit international chez Kelsen, car c’est là que le juriste autrichien apporte
des éléments extrêmement intéressants pour notre réflexion sur l’actualité
(ontologie de l’actualité). En effet, en repenant la locution latine pacta sunt servanda, Kelsen cherche à
montrer qu’elle constitue désormais la nouvelle norme fondamentale ; et qu’étant
donné son histoire, elle relève de la coutume[36] ;
d’où sa nature décentralisatrice. Comme chez Carl Schmitt, d’ailleurs, il ne
manque pas de signaler que cette décentralisation apparaît clairement avec la
droit de la guerre, qu’il entend cependant du point de vue d’un Etat mondial[37],
ce qui n’est pas le cas, bien entendu, chez Carl Schmitt, qui, lui, s’attaque aux
fondements de la SdN. Chez Kelsen, cependant, l’absence effective d’un Etat
mondial rend (temporairement) nécessaire « les ordres juridiques nationaux
[qui] déterminent directement les obligations, les responsabilités et les droits
subjectifs des individus, [étant donné que] le droit international les
détermine de façon seulement médiate, par l’intermédiaire d’un ordre juridique
national »[38].
Kelsen a en effet conscience que l’Etat mondial se trouve à un stade
d’élaboration embryonnaire et que « la centralisation s’effectue d’abord
dans le domaine de la juridiction » [39].
« Par une centralisation croissante elle aboutira à une communauté
juridique organisée s’étendant à la terre entière et constituant un Etat
mondial, mais actuellement un tel Etat n’existe pas et peut-être même
n’existera-t-il jamais. »[40]
Etant donné que cet Etat n’existe pas encore, le dualisme juridique s’impose
nécessairement au droit international :
Cette
doctrine dualiste ou plus exactement pluraliste, vu le grand nombre d’ordres
juridiques nationaux, se heurte toutefois à une impossibilité logique, si les
normes du droit international et celles des droits nationaux doivent être
considérées comme simultanément valables et comme étant les une et les autres
des normes juridiques. Or la doctrine dualiste ne nie pas que tel soit le cas.
Il en résulte la nécessité logique de concevoir tout le droit à un seul et même
point de vue et de l’envisager sous la forme d’un système unique.[41]
C’est là que l’aporie apparente que nous
avons signalée auparavant sur le principe de non-contradiction et la logique
acausale (ou transcendantale) chez le juriste autrichien trouve sa résolution.
En effet, l’absence de contradiction qui doit mener à la constitution du droit
international est en réalité guidée par la volonté de dépasser la théorie de la
souveraineté des Etats-nations. Et, du point de vue du droit international,
Kelsen pose la simultanéité, c’est-à-dire le principe de contradiction, comme
le principe de sa formation/centralisation. Il dénonce pour cela la régression
que constitue la primauté du droit national face au droit international, même
embryonnaire :
La
construction dualiste est celle des primitifs incapables de concevoir un ordre
juridique en dehors de celui qui régit leur propre communauté. Les étrangers ne
sont pour eux que des « barbares » hors la loi et les règles auxquelles
ils sont soumis n’ont pas un caractère juridique ou du moins ne constituent pas
un véritable droit, étant d’une nature différente et n’ayant pas la même
valeur. À ce point de vue il ne saurait y avoir non plus de véritable droit
international. Une telle conception n’a pas encore complètement disparu. On
retrouve sa trace dans l’idée que seul le droit national est un véritable droit
au pur sens du mot et elle constitue le point de départ, le plus souvent inconscient,
de la théorie dualiste.[42]
Ce qui est d’ailleurs excellent chez
Kelsen, c’est que l’idée même du droit international, pour être effective, ne
nécessite aucune reconnaissance de la part des Etats, invalidant par là toute
théorie de la reconnaissance[43],
à la manière de Hegel. Car, du moment que l’idée de droit international (pacta sunt servanda) existe, le monisme
étant, à travers la norme fondamentale, oblige nécessairement, du point de vue
du droit scientifique. C’est pourquoi le droit international n’a pas besoin d’être
reconnu pour être valide, alors que l’idée, par exemple, que le droit national
doit être reconnu par les individus est une idée liée à un point de vue
individualiste qui se fonde sur le droit naturel.
Peut-on seulement penser pour conclure que
Kelsen reconduit l’aporie effective du principe de non-contradiction constatée
au niveau national pour la placer à un niveau plus élevé et par conséquent
imposer une logique totalitaire au monde entier, à travers notamment l’idée
d’un Etat policier mondialisé ?
L’impossibilité d’un Etat mondial dont
Kelsen semble persuadé tout en y croyant paradoxalement amène à répondre par la
négative, car l’Etat mondial est avant tout pour le juriste autrichien une idée,
ou plutôt un noumène[44].
Mais le droit ne serait pas le droit pour lui sans contrainte, c’est pourquoi :
Abstraction
faite de quelques exceptions, le système de contrainte constitué par un ordre
juridique national ne peut s’appliquer qu’à l’intérieur du territoire garanti
par le droit international. Son application en dehors de ce territoire
constitue une violation du droit international.[45]
Le
droit international remplit donc la fonction de délimiter les domaines de
validité des ordres juridiques nationaux quelle que soit la théorie adoptée au
sujet de sa raison de validité : primauté du droit national ou primauté du
droit international.[46]
C’est que le traité (pacta sunt servanda) impliquant de fait des obligations
interétatiques, c’est-à-dire le droit international, implique également la
communauté internationale en tant que commuauté (l’humanité) et que, de ce point
de vue, que le droit international prime sur le droit national ou inversément,
le droit international en tant que tel reste valide universellement, qu’il soit objet de reconnaissance ou pas. C’est pourquoi le droit international considéré
du point de vue de la Théorie pure du droit de Kelsen est extrêmement pertinent,
puisqu’il permet effectivement de dépasser les antagonismes entre les Etats-nations,
que les deux Guerres mondiales illustrèrent lamentablement. « De cette
façon la Théorie pure du droit enlève à l’Etat le caractère absolu que le dogme
de la souveraineté lui confère. Elle le relativise en le considérant comme un
stade intermédiaire dans la série de formes juridiques qui va de la communauté
universelle du droit international aux diverses communautés juridiques
subordonnées à l’Etat. »[47]
[1] Hans Kelsen, Théorie
pure du droit, Traduit par Henri Thévenaz, Neuchâtel : La Baconnière,
1988, p.11.
[3] « Par nature nous entendons un ordre ou un
système d’éléments reliés les uns aux autres par un principe particulier, celui
de la causalité. Toute loi naturelle fait application de ce principe. Ainsi la
loi selon laquelle un métal se dilate lorsqu’il est chauffé, établit un rapport
de cause à effet entre la chaleur et la dilatation du métal. La science
primitive tenait la causalité pour une force sise à l’intérieur des choses,
mais elle est seulement un principe de connaissance. » Ibid., p.18.
[4] « La société est un ordre réglant la
conduite des hommes. Cette conduite apparaît d’abord comme un phénomène
naturel. Une science qui étudierait la société en faisant application du
principe de causalité serait une science de la nature au même titre que la
physique ou la biologie. Mais en y regardant de plus près, nous nous apercevons
que dans nos jugements sur la conduite des hommes nous appliquons aussi un
autre principe, tout à fait différent du principe de causalité. La science ne
lui a pas encore donné de nom universellement admis ; aussi devons-nous d’abord
établir qu’il en est fait application dans les sciences dont l’objet est la
conduite des hommes. C’est à cette condition que nous pouvons opposer les
sciences sociales aux sciences de la nature et voir dans la société un ordre ou
un système différent de celui de la nature. » Ibid.
[8] « La règle de droit est un acte de
connaissance, tandis que la norme juridique est un acte de volonté. » Ibid., p.44.
[14] « On dit d’habitude que telle ou telle
conduite est la condition d’une sanction parce qu’elle est un fait illicite. Il
serait plus juste de dire qu’elle est un fait illicite parce qu’elle est la
condition d’une sanction. Il n’y a pas de mala
in se, il y a seulement des mala
prohibita. Si le législateur déclare que telle conduite est interdite, mais
omet de prescrire ou d’autoriser une sanction, la conduite interdite n’est pas
un fait illicite. » Ibid., p.75.
[20] « Si la nature humaine est la source du
droit naturel, ils doivent admettre que l’homme est foncièrement bon, mais pour
justifier la nécessité d’un ordre de contrainte sous la forme du droit positif,
ils doivent invoquer la perversité de l’homme. Ainsi ils ne déduisent pas le
droit naturel de la nature humaine telle qu’elle est, mais de la nature humaine
telle qu’elle devrait être ou telle qu’elle serait si elle correspondait au
droit naturel. Au lieu de déduire le droit naturel de la vraie nature de
l’homme, ils déduisent une nature idéale de l’homme d’un droit naturel dont ils
supposent l’existence. » Ibid., p.89.
[36]
« La norme
fondamentale du droit international, qui sera aussi par voie de conséquence
celle des divers ordres juridiques nationaux subordonnés à ce droit, est une
norme conférant la qualité de fait créateur de normes juridiques à la coutume
résultant de la conduite réciproque des Etats. » Ibid., p.165.
[37] « Le droit international connaît deux
sanctions spécifiques, la guerre et les représailles, mais il se trouve à un
stade primitif, dépassé depuis longtemps par les ordres juridiques nationaux.
Si l’on considère plus spécialement le droit international général, à savoir la
communauté internationale dans son ensemble, on constate l’absence d’organes
spécialisés pour la création et l’application des normes juridiques. La décentralisation
est complète. » Ibid., pp.165-166.
[44] « Une norme du droit national contraire au
droit international est comparable à une loi anticonstitutionnelle, par exemple
à une loi violant les droits fondamentaux accordés par la constitution aux
individus, pour autant que cette constitution, comme c’est fréquemment le cas,
ne prévoie pas de procédure permettant d’annuler une loi en raison de son
caractère anticonstitutionnel et se contente de la possibilité de rendre
certains organes personnellement responsables de l’édiction de telle
loi. » Ibid., p.178.
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