Déterminants de la radicalisation religieuse: état des lieux

Présentation à l’Institut suisse des sciences des religions (ISSR) de l'Université de Lausanne, le 21 mai 2019

Bonjour à tous, je tiens à vous remercier d’être venus aujourd’hui pour ma présentation. Et je tiens également à remercier les organisateurs pour m’avoir invité à ce colloque de recherche de l’Institut suisse des sciences des religions intitulé : « Enquêter en sciences des religions : psychologie, sociologie et sciences sociales des migrations ».

Donc, à ce que j’ai pu voir sur le site de l’ISSR, l’accent doit être mis sur l’aspect méthodologique de mes recherches et, au stade où j’en suis dans mes recherches, c’est justement ce que j’avais prévu de faire. 

Mes recherches donc traitent de la radicalisation chez les jeunes et j’ai voulu aujourd’hui intituler ma présentation : « Déterminants de la radicalisation religieuse : état des lieux ».

Il est en effet important que je commence par le commencement, à savoir un état des lieux, étant donné la dimension extrêmement sensible de cette thématique.

C’est d’ailleurs la première fois que je m’exprime publiquement sur ce sujet. Je dois donc vous dire d’où je parle et comment j’en suis venu à travailler sur ce nouveau thème de recherche.

PLAN (à insérer)

Voilà, pour vous aider, je vous ai fait un plan. Je vais d’abord vous parler de mon parcours académique et professionnel. Puis, du concept de radicalisation, de l’expertise psychiatrique et de la demande sociale, d’un Spiritual Care étudié par la Plateforme MS3 et de sa construction théorique, de l’application du SDAT en vue de détecter la détresse spirituelle chez les adolescents et les jeunes adultes. Et enfin, on prendra 20 minutes pour la discussion. 

Concernant mon parcours académique et professionnel, après avoir effectué un Master en Lettres ici-même à l’Université de Lausanne avec comme disciplines le français moderne et les sciences des religions, j’avais commencé en 2010 une thèse sur « Le problème de la politique et de la religion chez William James et Théodore Flournoy », que j’ai soutenue en 2015, à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, en Faculté de philosophie. 

Il s’agissait d’un prolongement de mon mémoire de Master sur « La psychologie religieuse de Théodore Flournoy », que j’avais rédigé sous la direction du Prof. Pierre-Yves Brandt, en psychologie de la religion. 

J’avais estimé à ce moment-là de mon parcours de la nécessité de mettre en perspective critique les outils avec lesquels je souhaitais aborder un sujet plus d’actualité, à savoir la lutte contre le terrorisme. 

J’ai ainsi pu travailler en 2016 au Centre d’étude de la famille de l’Institut de psychothérapie du Département de psychiatrie du CHUV, où j’ai travaillé sur le jeu du pic-nic ainsi que sur le trilogue play. Il s’agissait de protocoles de recherche grâce auxquels on a pu vérifier plusieurs hypothèses sur les interactions au sein de la famille. 

J’ai fait pour cela de la description et du codage en équipe et j’ai également été en contact avec des patients. 

J’ai aussi pu enseigner la philosophie, la psychologie et la pédagogie dans une école privée où j’étais en contact avec des adolescents en rupture et surtout, ce qui peut paraître anecdotique, en apparence, j’ai pu travailler à la Ville de Lausanne dans le parascolaire, de 2017 à 2018, en tant qu’accompagnant des devoirs et animateur parascolaire où j’étais en contact avec des jeunes de 6 à 12 ans, dans différents quartiers populaires de Lausanne. 

Finalement, je travaille depuis novembre 2018 à la Plateforme MS3, c’est-à-dire Médecine, Spiritualité, Soins et Société, en tant que collaborateur scientifique sur la question de la radicalisation. 

 

Cela m’amène à présent à aborder le concept de radicalisation. Pour comprendre l’aspect problématique de ce concept, il est nécessaire de le relier au concept de terrorisme, qui est plus ancien et qui pose énormément de problème quant à sa définition. 

Par ex., un ouvrage comme Terrorismes, ouvrage collectif dirigé par Henry Laurens et Mireille Delmas-Marty, paru en 2010, souligne ce fait de deux points de vue. Henry Laurens est historien et Mireille Delmas-Marty est juriste. Or, d’un point de vue juridique et historique, ces deux professeurs du Collège de France constatent que le concept de terrorisme est un concept qu’on ne parvient pas à définir, parce qu’il signifie trop de choses : terrorisme d’Etat, lutte pour l’indépendance nationale, anarchisme, combat de la liberté, résistance, extrême-gauche, radicalisme religieux, etc.

Donc, nous voyons qu’aucune des définitions que ce mot a eues au cours de l’histoire ne se recoupe vraiment. Alors on peut dire qu’il y a aussi un usage opportuniste de ce concept qui s’avère finalement être un pur signifiant, c’est-à-dire un signifiant vide (mais j’y reviendrai). 

Pour vous donner un exemple, même le Département fédéral des affaires étrangères, le DFAE, est conscient du fait que l’on ne parvient pas à trouver une définition commune. D’où sa tentative de le définir tout de même à des fins administratives, définition que l’on trouve sur son site.

Je cite : 

« Même s’il n’existe aucune définition internationalement reconnue du terrorisme, une conception générale de ce qu’il faut entendre par acte terroriste semble se dégager. Il s’agit d’une attaque intentionnelle contre des civils ou des biens civils visant à intimider une population ou à contraindre un Etat ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte. »

Fin de citation. 

Donc, je souligne dans cette définition la dimension intentionnelle de l’attaque, parce que nous verrons comment cela va amener à faire de l’expertise psychiatrique la pierre angulaire de la lutte contre le terrorisme. 

Maintenant que nous avons posé le problème que constitue la définition du terrorisme, il convient d’aborder le concept de radicalisation du point de vue de sa définition. Parce que la radicalisation, finalement, dérive, découle, de la problématique du terrorisme, puisqu’il s’agit d’un concept qui va découler du terrorisme domestique. 

Mais il faut bien être conscient du fait qu’avec les attentats du 11 Septembre, on avait plutôt affaire à des terroristes étrangers, même si les recherches ont démontré que les terroristes avaient pour la plupart grandi en Occident et y avaient été formés. Mais, à ce moment-là, on considérait encore que l’on avait affaire à des combattants étrangers. 

Ce n’est que peu à peu, par ex. avec les attentats de Mohammed Merah en 2012, que l’on prend conscience d’un terrorisme domestique et du concept de loup solitaire, du lone wolf. Et cela est également lié avec l’émergence d’un terrorisme low cost

Donc, on s’est rendu compte que nos sociétés occidentales d’un point de vue socio-économique et culturel produisaient en marge de la société des gens que l’on considère comme des terroristes domestiques, des homegrown terrorist fighters.

Ce qui signifiait qu’il fallait partir de là : trouver les déterminants de la radicalisation au sein de nos sociétés. Par ex., on s’est dit que c’étaient des raisons socio-économiques liées à la pauvreté, à la marginalisation dans des cités dortoires, les banlieues françaises par ex., où l’on a affaire à des jeunes qui passent par la case de la délinquance, des jeunes issus de la deuxième et troisième génération maghrébine et qui se radicalisent à cause de leur exclusion socio-économique et politique. D’où une opposition frontale à l’Etat et à ce que représente l’Etat de droit. 

Cependant, chez les experts, ce concept de « loup solitaire » sur lequel on cherchait à définir le concept de radicalisation n’est pas lui-même sans poser de problème aux sociologues, qui, comme l’a montré Edward Said, se sont très rapidement saisis de la question du terrorisme, d’abord en tant qu’orientalistes, mais maintenant en tant qu’experts du terrorisme. 

Les sociologues, en fait, ont senti que l’objet leur échappait à partir du moment où l’on faisait de la radicalisation un problème purement psychologique. Et, du coup, le rôle de l’interaction a été fortement souligné par les sociologues eux-mêmes. 

Les sociologues, en effet, disent que, malgré Internet, on ne se radicalise pas seul. Et, pour cela, ils se sont appuyés sur des études de cas qui montrent qu’il y a effectivement une radicalisation qui s’opère en groupe au sein de fratries. 

Mais cela n’a pas empêché des sociologues de prendre en compte cette dimension psychologique, par ex. en s’associant avec des psychologues, des psychiatres ou encore des psychothérapeutes qui ont des approches axées sur la relation. Par ex., l’approche systémique, l’approche interactionniste ou encore la psychologie de la motivation. 

Une collaboration emblématique de ce type est celle de Dounia Bouzar, une sociologue française connue du grand public, et de Serge Hefez, un médecin-psychiatre de la Salpêtrière. Mais ce type de collaboration repose quand même sur la responsabilité du sociologue. Et je vous avoue que l’aspect méthodologique de ce type de recherche ne peut pas faire l’objet d’un débat transparent puisque la plupart des scientifiques qui travaillent sur le sujet sont tenus par le secret-défense ou par un devoir de réserve. 

Donc, étant donné que cette problématique de recherche ne peut pas faire vraiment l’objet d’un débat scientifique, on se rend compte que les publications qui sortent sur le sujet sont des publications « autorisées » qui participent plutôt d’une opération de comm’ visant à rassurer la population et l’opinion publique, pour la simple raison que la demande sociale est forte par rapport à cette question sécuritaire, ce qui m’amène à faire le lien avec mon prochain point, à savoir « l’expertise psychiatrique et la demande sociale ».

 

C’est qu’il faut bien être conscient que, si le concept de radicalisation demeure flou au niveau conceptuel, il n’en est pas moins opérationnel au niveau administratif et juridique. 

En effet, ce concept est en quelque sorte porté par la demande sociale, qui est de plus en plus préoccupée par la question sécuritaire. Ce qui implique que le système judiciaire a dû s’adapter à cette demande. 

Par ex., dans leur ouvrage commun Le juge et le psychiatre paru en 2017, Jean Fonjallaz et Jacques Gasser montrent comment l’expertise psychiatrique en est venue à occuper une place centrale dans le dispositif judiciaire. Et ce, malgré les protestations des psychiatres. 

C’est que le paradigme judiciaire a peu à peu basculé de la condamnation des faits commis au concept de risque, du risque de récidive. Puis, on a basculé du risque de récidive à la dangerosité du prévenu, c’est-à-dire au danger que cet individu représente pour la société. La proportionnalité de la peine va donc de plus en plus reposer sur le danger que représente la personne et non plus sur des faits commis. Et plus la personne sera considérée comme dangereuse et plus le juge sera soucieux des mesures thérapeutiques appliquées à son endroit. 

La question de la radicalisation intervient donc dans ce contexte. Car, comme vous le savez, la lutte contre le terrorisme a pour objectif d’anticiper l’attentat avant qu’il ne soit commis. Du coup, la difficulté du juge est que l’intention du prévenu de passer à l’acte soit établie. C’est là qu’intervient l’expertise psychiatrique étant donné que le juge doit se fonder sur un faisceau de preuves qui, en soi, ne constituent pas forcément une infraction pénale. Ainsi, la détermination de l’intentionnalité du prévenu constitue une sorte d’aveu dans un système judiciaire qui bannit la torture. C’est donc à partir de l’expertise psychiatrique que le prévenu peut être contraint à suivre une mesure thérapeutique et de sûreté. 

Dans le cas qui nous concerne, à savoir la radicalisation religieuse, c’est l’article 260 terreno du Code pénal suisse qui, du point de vue du droit matériel, sanctionne l’infraction, c’est-à-dire le soutien à un groupe terroriste comme Al Qaïda ou l’Etat islamique. 

Je vous lis l’article 260 terreno : 

« Art. 260ter

1. Celui qui aura participé à une organisation qui tient sa structure et son effectif secrets et qui poursuit le but de commettre des actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens criminels, celui qui aura soutenu une telle organisation dans son activité criminelle, sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

2. Le juge pourra atténuer librement la peine à l’égard de celui qui se sera efforcé d’empêcher la poursuite de l’activité criminelle de l’organisation.

3. Est également punissable celui qui aura commis l’infraction à l’étranger si l’organisation exerce ou doit exercer son activité criminelle en tout ou en partie en Suisse. »

 

Comme vous l’aurez remarqué, c’est le Code pénal qui sanctionne la participation à une organisation terroriste. Cela signifie que nous nous trouvons toujours dans le cadre du droit commun. Le droit d’exception finalement se trouve du côté des mesures thérapeutiques, qui incluent la contention. 

Pour vous faire une idée, je vais vous lire le jugement d’une cour d’appel pénale du 3 novembre 2017 :

« Par jugement du 30 juin 2017, le Tribunal des mineurs a constaté que Z. s’est rendu coupable d’infraction à la loi fédérale interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique » et les organisations apparentées, l’a libéré du chef d’accusation de participation à une organisation criminelle, a ordonné une mesure d’assistance personnelle, confiée à un éducateur du Tribunal des mineurs, a ordonné un traitement ambulatoire, lui a infligé 6 mois de privation de liberté, sous déduction de 92 jours de détention provisoire, avec sursis pendant 2 ans, a subordonné le sursis aux règles suivantes : avant tout séjour à l’étranger, une demande formelle et détaillée doit être présentée par Z. au Tribunal des mineurs pour disposer provisoirement de ses documents d’identité, soit sa carte d’identité et son passeport suisse, pour la durée du séjour, lesquels documents restent saisis et déposés au Tribunal ; l’obligation de se présenter régulièrement à un service administratif, soit à un poste de gendarmerie une fois par semaine pendant les heures d’ouverture ; l’obligation d’avoir une activité régulière ; l’obligation de suivre régulièrement son traitement ambulatoire et de se rendre aux rendez-vous fixés par l’éducateur du Tribunal des mineurs, a statué sur les séquestres et a mis les frais de la procédure, par 600 fr., à la charge de Z., le solde étant laissé à la charge de l’Etat. »

 

Ici, il s’agit d’un mineur. Mais, plus nous avons affaire à un cas grave et plus la question de l’internement à vie se pose. C’est en effet avec l’internement à vie, issu d’une initiative populaire adoptée en 2004, que le rôle que l’on fait jouer à l’expert psychiatre se pose. 

En effet, les psychiatres le disent eux-mêmes. Ils ne sont pas des devins, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas se prononcer sur le comportement futur d’un individu. Or, sur l’absence de faits clairement incriminants, on peut comprendre pourquoi la radicalisation religieuse peut faire l’objet d’une mesure thérapeutique et de sûreté. 

Pourtant, si la chose paraît convenir à l’administration publique, la démarche paraît discutable du point de vue des psychiatres eux-mêmes, qui s’en défendent. Pour les psychiatres, en effet, le terrorisme n’est pas lié à la psychiatrie. Et, pour eux, le fait d’associer terrorisme et psychiatrie est un dangereux amalgame, puisqu’il tend à stigmatiser la maladie mentale. De nombreux travaux, d’ailleurs, dont ceux du psychiatre Marc Sageman, montrent que le terrorisme n’est pas lié à la maladie mentale. Du coup, les mesures thérapeutiques liées à la radicalisation religieuse ne tiennent pas la route d’un point de vue scientifique.

Cela m’amène donc à me demander quel savoir, quelle discipline, permettrait de comprendre la radicalisation religieuse. D’où le point 4 de ma présentation, à savoir « Un Spiritual Care étudié par la Plateforme MS3 et sa construction théorique ». 

 

Pour bien comprendre la pertinence de ce Spiritual Care dans le cadre de mes recherches sur la radicalisation, je dois souligner le fait qu’il existe plusieurs Spiritual Care et que la Plateforme MS3 en a développé un à travers le SDAT, qui est un outil d’évaluation de la détresse spirituelle. Cet outil, en fait, suppose tout un raisonnement épistémologique que j’ai pu dégager avec l’aide du Dr. Etienne Rochat à qui je manifeste toute ma reconnaissance. L’idée était de me doter d’un outil d’enquête me permettant de mettre à jour les conditions ou les déterminants qui poussent les individus vers une radicalisation théologico-politique, ce qui ne suppose pas, bien entendu, un lien de fait entre la radicalisation et le terrorisme. 

Pour rappel : les autorités en suivant la thèse de Gilles Kepel supposent, elles, un lien de causalité entre le fondamentalisme religieux et l’extrémisme violent, et plus précisément entre le salafisme et le djihadisme. Cette hypothèse intellectualiste reposant sur la lecture littérale du Coran, je ne la suis pas pour la simple raison que je reste fidèle à la thèse de William James selon laquelle l’émotion prime sur l’idée. Pour James, en effet, on ne pleure pas parce qu’on est triste, mais on est triste parce qu’on pleure. L’émotion vient donc avant l’idée qui n’est qu’une prise de conscience de notre état physiologique. D’où mon intérêt pour le Spiritual Care dont la philosophie de William James a été l’une des sources d’inspiration. 

En effet, la théorie des émotions de William James m’a offert une alternative à la lecture intellectualiste que les autorités ont du phénomène de la radicalisation. Du coup, en m’intéressant de plus près aux travaux en Spiritual Care, j’ai noté que, malgré les difficultés à définir le concept de spiritualité, une définition semble se dessiner qui tend vers la spiritualité comme désir de vie. Ce sont en effet les travaux menés auprès des personnes âgées, en soins palliatifs, qui montrent que la spiritualité les aide à lutter contre la maladie. C’est ainsi qu’entre la spiritualité comme désir de vie, chez les personnes âgées, et la radicalisation comme désir de mort, chez les jeunes, il n’y avait qu’un pas que j’ai franchi. 

Mais, avant d’établir un tel lien, qui n’est pas sans rappeler la thèse de Freud sur la pulsion de vie et la pulsion de mort, ερος et θανατος, je me suis intéressé de plus près aux travaux de Stéfanie Monod et d’Etienne Rochat sur l’évaluation de la détresse spirituelle chez les personnes âgées au sein du CHUV. 

Les travaux de Stéfanie Monod et d’Etienne Rochat m’ont intéressé, parce qu’ils reposent sur une conception multidimensionnelle du sujet qui pose en son cœur la notion d’équilibre, la global life balance. Cette conception multidimensionnelle du sujet s’inscrit en fait dans la continuité des travaux du psychiatre George Engel, qui a posé le modèle biopsychosocial, et des travaux de l’éthicien Daniel Sulmasy, qui a ajouté au modèle de Engel la dimension spirituelle. Les travaux de Stéfanie Monod et d’Etienne Rochat apportent quelque chose de plus dans le sens où, à ces multiples dimensions, ils ajoutent la notion de déséquilibre qui, au sein d’un sujet multidimensionnel, crée une détresse, une détresse spirituelle étant donné qu’elle concerne la globalité de la personne. 

C’est que l’entrée à l’hôpital et la confrontation à la maladie créent un déséquilibre au sein du sujet qui débouche sur de la détresse spirituelle. D’où l’importance de tenir compte de la spiritualité de la personne pour rétablir un équilibre de vie. L’hôpital, vous l’aurez compris, constitue de ce point de vue un lieu privilégié de prise en compte de la spiritualité pour l’équilibre de vie de la personne malade. Or, en considérant la radicalisation comme désir de mort chez les jeunes, j’associe la question de la radicalisation au suicide, voire au meurtre. Le mal-être que traversent les adolescents et les jeunes adultes au moment de leur passage à la vie adulte est un lieu commun de la littérature de la psychologie des adolescents. Pour les jeunes dont les conditions socio-économiques et familiales sont les plus difficiles, le passage à la vie adulte est jalonné de crises qui les confrontent nécessairement à des institutions telles que le Service de protection de la jeunesse, l’hôpital de l’enfance ou encore la permanence de Boston du SUPEA, c’est-à-dire du Service universitaire de psychiatrie des enfants et des adolescents. Ici, la rupture n’est pas créée dans l’espace mais dans le temps. 

C’est ainsi que le modèle biopsychosocial de Engel est intéressant, car il prend en compte la psychologie du développement. Et, face à des jeunes qui se taisent, ce qui est fréquemment le cas lors de soupçon de radicalisation, l’approche structuraliste est des plus précieuses. Car, lors de l’expertise psychiatrique, qui se déroule en trois fois, le psychiatre ne peut recourir, en réalité, qu’à l’approche phénoménologique pour déterminer les intentions du sujet. Or, s’il se tait, cette approche phénoménologique ne sert à rien. Il faut donc recourir à une approche qui ne fait pas du discours du sujet l’objet central de l’analyse. D’où l’intérêt de l’approche structuraliste du modèle biopsychosocial et spirituel de Engel et Sulmasy.

Si nous reprenons en fait la thèse que l’émotion prime sur l’idée, nous pouvons penser qu’une crise, qu’une détresse spirituelle, peut déboucher sur la radicalisation d’une identité religieuse, qui, en quelque sorte, va rétablir un équilibre, mais un équilibre morbide, dans le sens où il exclut l’autre en se posant comme la seule identité religieuse possible. Du coup, cet état ressemble à une psychose paranoïaque, qui nécessite un travail sur le rapport à l’autre du sujet. Et, du moment qu’apparaît le rapport au grand Autre, à Dieu, le rôle de l’accompagnement spirituel est central dans l’équipe de soin interdisciplinaire. Et, ce rapport au grand Autre, au risque de le voir échapper, doit être systématiquement sondé, ce qui m’amène au point 5 de ma présentation, à savoir « L’application du SDAT en vue de détecter la détresse spirituelle chez les adolescents et les jeunes adultes ».

 

Bon, je pense que vous l’avez compris, mes recherches actuellement se trouve principalement au niveau de la conceptualisation. D’où ma collaboration actuelle avec le Dr. Etienne Rochat sur l’application du SDAT à une population d’adolescents et de jeunes adultes. Le SDAT, bien entendu, nécessitera un remaniement, puisqu’il a été conçu à l’origine pour une population de personnes âgées. Le SDAT, concrètement, vise à évaluer le sens, la transcendance, l’identité psychosociale et les valeurs du sujet. Il s’agit d’une grille d’évaluation visant à mesurer si la détresse spirituelle chez le patient est faible, moyenne ou sévère. Or, dans le cas qui nous concerne, à savoir les jeunes radicalisés ou en voie de radicalisation, il est souvent difficile de se fier à leur discours dans le cas même où ils ne se taisent pas. D’où l’importance d’appliquer le SDAT dès les premières crises au moment où le sujet n’est pas complètement fermé. Car c’est là que l’on pourra identifier à travers les ruptures dans le discours le rapport à l’autre. 

Mais nous devons être tout à fait conscients que ce n’est pas l’approche phénoménologique que nous appliquerons dans le sens où ce n’est pas la signification du discours du sujet qui nous intéresse mais son rapport au pur signifiant. Je veux dire par là que la détection d’une détresse spirituelle chez les jeunes permettra de travailler sur ce que nous estimons être le noyau de la radicalisation, à savoir une émotion. 

 

De plus, nous devons être attentifs au fait qu’une telle thématique de recherche en milieu hospitalier implique une sorte d’état d’urgence biomédical.

Du coup, nous passons d’une recherche en théologie pratique à une recherche en théologie politique. 

Or, le danger d’appliquer une approche phénoménologique à une telle thématique de recherche serait de croire que le médecin psychiatre peut concentrer tous les points de vue, grâce à la réduction phénoménologique transcendantale, en vue de prendre une décision qui lui reviendrait de fait. 

C’est justement contre cette prétention que nous devons lutter en promouvant la décision partagée à travers une approche biopsychosociale et spirituelle intégrée.

D’où ma conclusion que voici : l’accompagnement spirituel intégré à l’équipe soignante joue le rôle de garde-fou à une rationalité médicale qui se voudrait, autrement, toute puissante. 

 

Questions à la présentation

1) Pourquoi utiliser le terme « radicalisation » ?

2) Les gens ne viennent-ils pas volontairement à l’hôpital ?

3) Criminels, délinquance (F. Khosrokavar) ?

4) Personnes âgées ?

5) Faire cela à l’hôpital n’est-il pas réducteur ?

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